J’étais très fatigué quand j’ai été voir Once Upon a Time in Hollywood. Ça a forcément joué. Mais je n’ai pas aimé. Je n’étais pas assez au courant de l’histoire de Sharon Tate (et surtout, j’avais oublié le peu que j’en savais), pour saisir l’enjeu du film. Ni du reste de la légende hollywoodienne pour saisir les milliards de références. Les acteurs connus — en dehors des trois héros — étaient trop grimés pour que je les reconnaisse (j’ai pris Luke Perry pour Aaron Eckhart 🤦🏼♂️). La fatigue encore, sans doute, qui m’a empêché de comprendre le pourquoi (et le qui) de la voix-off et certaines ellipses narratives. Ça fait beaucoup. Beaucoup de choses étranges, beaucoup de choix étonnants, qui m’ont rendu le film chiant. Seul le dernier acte m’a réveillé, offrant son lot d’hémoglobine, offrant, pour le dire vulgairement et de façon erronée mais simple à exprimer, ce que l’on attend d’un Tarantino.
Pourtant…
Je suis rentré chez moi, j’ai bien sûr eu le besoin immédiat de me replonger dans l’affaire Sharon Tate. Je me suis souvenu de cette histoire de femme de Roman Polanski et j’ai découvert le contexte, la secte, le Spahn Ranch… Parmi les rares critiques que j’avais lu sur OUaTiH avant d’aller le voir, celle qui revenait le plus était son manque de fidélité historique ; mais dans mon cas, en vivant les choses à l’envers, je me suis retrouvé, devant Wikipedia, à avoir l’impression de me souvenir de ces évènements, d’avoir vécu à cette époque, parce que je venais de les voir au cinéma. C’est à dire que, durant la projection, de nombreuses séquences du film n’avaient aucun sens pour moi, aucun but. Pourquoi s’attarder autant sur le ranch, par exemple ? Je regardais, c’était contemplatif, mais cette séquence, comme beaucoup d’autres, comme presque la totalité du film, n’avait absolument aucun intérêt, elle ne faisait à mes yeux pas avancer le film. Et soudain, ces séquences prenaient tout leur sens. Je continuai de lire, j’arrivai sur la fiche du film listant quelques unes des références qu’il contient, et tout devenait plus clair.
…que la colline d’Hollywood est belle
J’ai fini de diner, je suis parti me coucher et je continuai d’y penser. Pas à Wikipedia, pas aux anecdotes que je venais de lire, pas à la réalité, mais au film que j’avais vu trois heures plus tôt. Ses images tournaient encore en boucle dans ma tête, et étaient de plus en plus logiques, légitimes.
Les plans que je trouvai trop simples, l’histoire que je trouvai trop simple, les dialogues que je trouvai trop simples, … Ce n’est pas « trop simple », c’est différent. J’ai passé tout le film à me demander si Tarantino était bien à la réalisation. Il y a quelques fulgurances, comme les magnifiques séquences contemplatives en voiture, qui moi m’ont replongé avec une abyssale nostalgie dans mes longues parties de GTA, passées à uniquement me balader en belle bagnole pour découvrir les paysages, avec en fond sonore l’autoradio et les bruits réalistes des autres véhicules et des PNJ allant et venant autour de moi. Et aussi quelques mouvements de caméras s’envolant par dessus les demeures hollywoodiennes. Mais dans l’immense majorité du film, j’étais spectateur, au sens le plus commun du terme. Enfin, j’en avais l’impression. Clairement, ça ne ressemblait pas à ce que je connais de Tarantino. À vrai dire… entre le titre du film, la présence de DiCaprio et d’Al Pacino, … J’avais plus l’impression d’être devant un Scorsese. Ou un Leone.
Comment peut-on s’imaginer ?
En fait, je crois que Quentin Tarantino, pour son neuvième film, a réussi quelque chose que peu de réalisateurs savent faire : se réinventer. Tarantino est un très grand cinéphile, il connait énormément de choses, et jusque là, il s’inspirait de beaucoup de films existants pour livrer son interprétation très personnelle des choses. Bourrés d’inspirations, ses films étaient pourtant des œuvres bien à lui, identifiables à des kilomètres. Il mettait la technique des autres au profit de son propre imaginaire. Dans Once Upon a Time in Hollywood, il fait l’inverse : il met son propre savoir-faire technique au profit de l’imaginaire (et de la réalité historique, jusqu’à un certain point) des autres, de celui d’un Hollywood à l’apogée d’un certain âge d’or. Jusque là Tarantino, boulimique de films, se servait de ce qu’il avait vu pour nous faire vivre ses propres histoires. Avec OUaTiH, il cherche à nous mettre dans sa tête, à nous faire ressentir ce que lui a vécu en se passionnant pour le Cinéma. « Vous aimez mes films, regardez d’où ils viennent » pourrait être sa note d’intention. Ce film, c’est comme les premiers chapitres d’une auto-biographie, ceux où l’auteur raconte son enfance, les souvenirs qui ont forgé sa personnalité. En ce sens, en effet, OUaTiH n’est pas « un Tarantino », au sens péjoratif de l’expression. Mais pas parce que son auteur se serait égaré en chemin. Simplement parce que quand il décide de faire un film qui raconte un souvenir, une madeleine de Proust, il accepte de s’effacer suffisamment pour qu’on réussisse à ressentir le même feeling que lui. Ce film n’a pas pour but de transmettre le plaisir de voir des gens parler et s’entre-tuer de façon tarantinesque, ce film a pour but de transmettre le souvenir (romancé, c’est du cinéma) d’un fragment d’époque révolue.